
Les entreprises jugent que leur expert-comptable est l’acteur clé pour piloter leur mise en conformité à la facturation électronique. La réforme, au calendrier désormais connu, entraîne un besoin accru d’accompagnement opérationnel, stratégique et technique et la légitimité des experts-comptables semble, dans ce contexte, largement plébiscitée. Ces attentes illustrent les évolutions profondes du secteur, face à une automatisation galopante et une consolidation générale.
Le temps de la pédagogie est compté
À un peu plus d’un an de l’échéance, la bascule vers la facturation électronique n’a jamais été aussi proche. La loi de finances 2024 a gravé dans le marbre un calendrier désormais irrévocable. En effet, après un premier report d’un an de l’application, voté en 2024, l’Assemblée Nationale a refusé un nouveau report un peu plus tôt cette année, malgré l’abandon du Portail Public de Facturation.
Les entreprises savent donc maintenant à quoi s’attendre : la réception des factures électroniques deviendra obligatoire pour toutes les entreprises dès le 1ᵉʳ septembre 2026 (les grands groupes et les ETI seront également tenus d’envoyer des factures électroniques à cette date), tandis que l’émission généralisée prendra effet un an plus tard, au 1ᵉʳ septembre 2027. Le compte à rebours est donc lancé, et le temps commence à presser pour de nombreuses entreprises qui ne sont pas encore très avancées dans leur préparation à la facture électronique.
Selon le dernier Observatoire Quadient–OpinionWay, seulement 1 % des organisations se disent aujourd’hui “prêtes”. Autant dire que les équipes comptables se retrouvent en première ligne des attentes et d’une pression qui augmente mois après mois pour trouver, tester et adopter une PDP (Plateforme de Dématérialisation Partenaire) adaptée pour gérer leurs factures électroniques.

Pour les entreprises, la réforme est un révélateur de vulnérabilités
Derrière la contrainte règlementaire se cache un enjeu économique rarement évoqué : le maintien d’une trésorerie fluide dans un contexte de resserrement du crédit et d’instabilité financière. La facture électronique devrait réduire le délai moyen de recouvrement et le temps de traitement des factures (de 30 à 80%). À l’échelle macro-économique, Bercy chiffre le gain de productivité à 4,5 milliards d’euros par an, essentiellement au bénéfice des TPE et PME, alors que le différentiel de coût est un autre argument clair : une facture papier oscille autour de 15 € (gestion, saisie, archivage), contre moins de 5 € en version 100 % numérique.
La disparité des formats (Factur-X, UBL, CII), la nécessité de qualifier chaque transaction (e-invoicing pour le B2B) et d’en déclarer la synthèse (e-reporting pour le B2C ou B2B international), transforment néanmoins cet avantage potentiel en parcours semé d’angles morts. Les TPE, structurellement moins armées, attendent de leur expert-comptable un triple rôle : cartographier les processus, sélectionner la Plateforme de Dématérialisation Partenaire (PDP) idéale et former les équipes. D’après les données du Baromètre 2025 du Conseil national de l’Ordre, 76 % des très petites entreprises réclament un accompagnement pratique qui peut aller jusqu’à la prise en main de la plateforme.
Cabinets : une mue technologique, mais aussi structurelle
Côté cabinets d’experts-comptables, l’heure est à l’action rapide mais ordonnée. 26 % mènent encore des audits d’impacts, 28 % testent des PDP, tandis que 39 % sont déjà en phase de recommandation ou de déploiement. Ces chiffres, encourageants, masquent toutefois un défi culturel : passer d’une logique de tenue comptable à une posture d’“architecte de la donnée”, capable de dialoguer à la fois avec la DSI du client, son DAF et, demain, son responsable cybersécurité.
Car ces attentes d’accompagnement dans le passage à la facturation électronique s’inscrivent en parallèle dans l’évolution structurelle du métier d’expert comptable. Après une grande tendance à l’externalisation des fonctions comptables, véritable moteur de la croissance du secteur qui a entraîné une augmentation des effectifs de plus de 34 % en 10 ans, le rôle même des experts-comptables est en train d’être bouleversé par l’automatisation des processus et l’intelligence artificielle.
Les tâches de collecte, de ressaisie de facture ou encore de gestion fiscale et sociale vont progressivement être internalisées et automatisées par les entreprises qui chercheront auprès de leur experts-comptables un partenaire expert pour du conseil, de la formation et de l’accompagnement.
Cette mutation de la profession vers des services à plus forte valeur ajoutée devrait entraîner une consolidation du secteur, alors que 80% des cabinets comptent moins de 10 collaborateurs.
Au-delà du format, un nouvel ADN de conseil
La réforme agit aussi comme catalyseur d’une mutation plus large : l’automatisation de la chaîne comptable. Dématérialisation des factures, rapprochement bancaire en temps réel, pré-comptabilisation et reporting fiscal “as-you-go” s’enchaînent dans une logique de données structurées. Chaque e-facture devient exploitable par les algorithmes de prévision de trésorerie ou de détection de fraude.
L'approche de nombreux éditeurs, comme le français Quadient illustre cette tendance : plus de 100 connecteurs ERP, archivage conforme (norme Z42-020) et modules d’automatisation comptable assistés par IA pour fiabiliser la saisie et détecter les anomalies.
Alors que les grands groupes enverront 100% de leurs factures en format électronique XML à partir du 1er septembre, les PME et TPE sont nombreuses à penser pouvoir attendre 2027 pour passer à leur tour au nouveau format. C’est oublier cependant que leurs factures de services, qu’il s’agisse de l'électricité, de l’eau, d’internet ou d’assurance, de nombreuses factures seront reçues dès le premier septembre 2026 au format CII, UBL ou Factur-X pour une meilleure sécurisation des données.
Benchmark européen : l’Italie en pôle, l’Espagne en attente
Les plus sceptiques s’interrogent encore sur la valeur réelle du dispositif. L’exemple italien, pionnier depuis 2019, offre un éclairage : Rome revendique des grains de 2 milliards d’euros grâce à une réduction de la fraude à la TVA et les entreprises italiennes notent des gains entre 7 et 11€ par facture. À l’inverse, l’Espagne, dont le décret est repoussé à 2027, illustre la difficulté d’aligner spécifications techniques et relais de proximité. La France tente d’équilibrer contrôle fiscal et agilité à condition que l’écosystème d’intermédiaires de PDP (déjà plus de 70 plateformes enregistrées) reste lisible pour les entreprises.
L’objectif premier : data-mining et lutte contre la fraude
Pour l’administration, l’enjeu dépasse la simplification : la facture électronique alimente une base de données transactionnelles quasi temps réel, pierre angulaire des nouvelles stratégies antifraude. La Direction générale des finances publiques ambitionne de croiser l’e-reporting avec les paiements électroniques afin de détecter défaillances et incohérences. Les experts-comptables seront dès lors les premiers remparts contre les anomalies : ils devront orchestrer des contrôles de cohérence automatiques et instaurer des revues analytiques plus fréquentes.
Comment les cabinets peuvent transformer l’essai
- Auditer le SI du client : cartographier les flux, vérifier l’ERP, les formats et les points de friction
- Élaborer une stratégie PDP : critères de souveraineté, SLA, coûts cachés, intégrateurs et connecteurs, fonctionnalités IA
- Former en continu : ateliers et simulations de flux réels
- Construire des tableaux de bord opérationnels : suivi des rejets, délais de validation, cash conversion cycle
- Monétiser la data : proposer des services de pilotage (forecast, scoring fournisseurs) basés sur l’historique et la stratégie de l’entreprise
Vers un rôle de conseiller de confiance
En définitive, la réforme consacre l’évolution du métier d’expert-comptable vers un rôle de conseil, de confiance, à la croisée des chemins entre technologue, fiscaliste et analyste de données. Pour les cabinets qui sauront saisir l’opportunité, la facture électronique ouvre un champ de nouveaux honoraires : conseil SI, cybersécurité, data-analytics, mais aussi accompagnement ESG grâce à la traçabilité carbone des achats.
Pour en savoir plus, téléchargez notre infographie sur le sujet.